La communion pauvre
- Mon Dieu, je ne Vous aime pas, je ne le désire même pas, je m’ennuie avec Vous.
- Peut-être même que je ne crois pas en Vous. Mais regardez-moi en passant.
- Abritez-vous un moment dans mon âme, mettez-la en ordre d’un souffle, sans en avoir l’air, sans rien me dire.
- Si Vous avez envie que je croie en Vous, apportez-moi la foi. Si Vous avez envie que je Vous aime, apportez-moi l’amour. Moi, je n’en ai pas et je n’y peux rien. Je Vous donne ce que j’ai : ma faiblesse, ma douleur. Et cette tendresse qui me tourmente et que Vous voyez bien... Et ce désespoir... Et cette honte affolée...
- Mon mal, rien que mon mal...
- C’est tout ! Et mon espérance !
- (Notes intimes)
Le curé de campagne
- « Je suis venu pour être haï ! »
- Bossuet (Méditations sur l’Evangile).
- Me voici, mon Maître, mon Dieu ! Je suis jeune - vingt ans - juste à l’âge de me faire un avenir, de cons-truire un foyer, je pourrais, si je voulais, cultiver mes champs que j’aime, travailler toute la semaine et m’amuser les dimanches et les jours de fête.
- Si je voulais, je pourrais ouvrir boutique, je pourrais être un bon marchand honnête qui vend, gagne, fait fortune, mange de bons morceaux, porte de beaux habits et jouit de la considération générale.
- Je ne suis pas plus bête qu’un autre, je pourrais comme un autre, être maître d’école... je pourrais même devenir maire du pays et mieux encore - qui sait ? - parvenir aux grands emplois... oui, tout comme un autre...
- O christ, mon pauvre Dieu, te voilà tout seul, aban-donné dans ton église de campagne dont le clocher menace ruine, tout seul dans ta maison mal balayée où n’entre personne, et tu entends dehors, le dimanche, le travail du dimanche qui se moque de toi..
- Alors, je viens ! Pour être avec toi un sans-foyer. Je viens pour être haï comme tu l’es, pour être berger sans troupeau comme tu l’es, pour être, comme tu l’es, lépreux rejeté du groupe humain, cet homme isolé, singulier, cet homme en robe que les autres du village tiennent à l’écart et regardent en ricanant quand il passe.
- Je viens pour avoir besoin d ouvrage, n’en pas trouver et me faire traiter de fainéant par les ivrognes et même, plus ou moins, par les gens raisonnables.
- Me voici... Je viens... je passerai pour ignorant, pour fou... la calomnie m’épiera derrière la porte - « un homme pareil aux autres... if fait ses coups en dessous »- on mentira pour me nuire.
- Mais je viens, mon pauvre Maître, je viens à Toi, parce que tous T’ont abandonné... je viens...
- Et tous les deux, Toi, dans ton église en détresse, moi à côté, dans ma maison vide - méconnu, Toi, méprisé, moi - nous serons tous les deux compagnons de misère.
-* (Notes intimes)